"C'est parce que nous n'avons plus rien à cacher que nous ne pouvons plus être saisis. Devenir soi-même imperceptible, avoir défait l'amour pour devenir capable d'aimer. Avoir défait son propre moi pour être enfin seul, et rencontrer le vrai double à l'autre bout de la ligne. Passager clandestin d'un voyage immobile. Devenir comme tout le monde, mais justement ce n'est un devenir que pour celui qui sait n'être personne, n'être plus personne. Il s'est peint gris sur gris."
Gilles Deleuze e Félix Guattari, Mille Plateaux, pp. 241-42.
"Si le devenir-femme est le premier quantum, ou segment moléculaire, et puis les devenirs-animaux qui s'enchaînent avec lui, vers quoi se précipitent-ils tous ? Sans aucun doute, vers un devenir-imperceptible. L'imperceptible est la fin immanente du devenir, sa formule cosmique. [...] Mais que signifie devenir-imperceptible, à la fin de tous les devenirs moléculaires qui commençaient par le devenir-femme ? Devenir imperceptible veut dire beaucoup de choses. Quel rapport entre l'imperceptible (anorganique), l'indiscernable (asignifiant) et l'impersonnel (asubjectif) ? On dirait d'abord : être comme tout le monde. C'est ce que raconte Kierkegaard, dans son histoire du « chevalier de la foi », l'homme du devenir : on a beau l'observer, on ne remarque rien, un bourgeois, rien qu'un bourgeois. C'est ce que vivait Fitzgerald : à l'issue d'une vraie rupture, on arrive… vraiment à être comme tout le monde. Et ce n'est pas facile du tout, ne pas se faire remarquer. Etre inconnu, même de sa concierge et de ses voisins. Si c'est tellement difficile, être « comme » tout le monde, c'est qu'il y a une affaire de devenir. Ce n'est pas tout le monde qui devient comme tout le monde, qui fait de tout le monde un devenir. Il y faut beaucoup d'ascèse, de sobriété, d'involution créatrice : une élégance anglaise, un tissu anglais, se confondre avec les murs, éliminer le trop-perçu, le trop-à-percevoir. « Eliminer tout ce qui est déchet, mort et superfluité », plainte et grief, désir non satisfait, défense ou plaidoyer, tout ce qui enracine chacun (tout le monde) en lui-même, dans sa molarité. Car tout le monde est l'ensemble molaire, mais devenir tout le monde est une autre affaire, qui met en jeu le cosmos avec ses composantes moléculaires. Devenir tout le monde, c'est faire monde, faire un monde. A force d'éliminer, on n 'est plus qu'une ligne abstraite, ou bien une pièce de puzzle en elle-même abstraite. Et c'est en conjugant, en continuant avec d'autres lignes, d'autres pièces qu'on fait un monde, qui pourrait recouvrir le premier, comme en transparence."
Idem, ibidem, pp. 342-43, que já havia citado parcialmente aqui, e ambos enviados há muito tempo pelo A.